Isaline
Dupond
Jacquemart
Ici,
j'écris
Polymorphe
J’occupe une pièce froide et noire du rez-de-chaussée aux volets fermés
Dans laquelle mes pieds s’enracinent entre les joints des tomettes brunes
J’ai le jogging au corps
Un spot Makita sur batterie ou secteur
Lumière face au visage
Visage face au diaphragme
Et un velours vert chrome pendu au support de fond :
J’engendre des éclairs
— globes aveuglés par le flash
Je deviens matière

J’occupe une pièce froide et noire
Dans laquelle je me fabrique mes images
J’apparais : corps face à la lumière.
Entre les rainures des vantaux,
L’eau rentre par la fenêtre
Inondant la pièce d’un liquide trouble que mes mains enlacent doucement
Et de mes extrémités spongieuses, pollénisateurs hypertrophes,
Poussent des spadices jaunes en forme de massue
Émergeant d’arums rouges et blancs

J’ai la chair de poule
Je me souviens être corps, le vivre plutôt que l’avoir

Mes côtes me rappellent les rainures des vantaux
Mes clavicules, les sillons des spathes
Bientôt je baigne dans l’eau
Le vent bat les fenêtres
La foudre sillonne le ciel
Et les insectes xylophages parcourent la terre
Je m’épanouis dans la tempête
Où les formes des choses sont balayées d’un revers de main

Et dans les lagons verts ondoyants,
Membrane mucilagineuse enveloppante,
Qui devenir ?
Mon être en proliférations :
Immense calmar boréal
Dans l’étendue d’eau au centre d’un atoll
Dévorant l’île de ses membres mouvants,
Ou petit tétard au creux de mes mains

Puisque dans les lagons verts ondoyants
Les cerisiers ont commencé à fleurir,
Le saule tortueux au corps je me transmute
Car si toute est vraie, si tout est faux,
Qui devenir ?
J’occupe les espaces troubles
Je me déploie dans les interstices
Je squatte le genre comme un spectre
J’habite les désirs comme un soulèvement
Je pullule dans l’image
Je champignonne
Et que je me transfigure, que je me documente, que je me fictionne !
J’existe de mes places multiples
J’irradie, polymorphe

Mue imaginale
Imago, expulsant le méconium
Mon corps en proliférations

Et mes côtes me rappellent les rainures des vantaux
Mes clavicules, les sillons des spathes
Je baigne dans l’eau
Le vent bat les fenêtres
La foudre sillonne le ciel
Les insectes xylophages parcourent la terre
Je m’épanouis dans la tempête
Où les formes des choses sont balayées d’un revers de main

Et nous prenons l’espace
Nous sommes
Nous tétards
Nous calmars
Et bombant le torse
Nous occupons le genre du devenir comme un squat
Nous, nos corps, couverts de doutes et de fougères
Et qu’est-ce qu’on veut en dire et qu’est-ce qu’on ne veut pas en dire
Dans cette pièce froide, pavée de tomettes, noire,
Le spot de lumière dirigé en pleine face :
Iels habitent les images,
Une fleur de pommier inondée de vert

J’attends que ça décante
L’eau se retire lentement
Laissant sec le zinc de la bassine
Et loin les paysages sous-marins
Une aurore
Un tourbillon au visage.

De nos doutes effervescents, postures multiples,
Prospèrent sur nos peaux des fougères
Car s’immisçant dans les interstices
Nous devenons
Lumière face au visage
Visage face au diaphragme :
Iels habitent les images,
Iels dans les lagons ondoyants
Avril 2022