Isaline
Dupond
Jacquemart
Ici,
j'écris
Fulgurées
Aux pieds des éoliennes, tout en haut du coteau
Le bruit des pales en friction avec le vent
Fait vibrer la terre, encor
Colosses fantastiques à trois bras
Découpant parfois les moineaux

Dans les Corbières
Aux pieds des éoliennes
Je cherche un genre de plante qui guérit tout
Sur les sentiers le long des vignes
Envahis par la broussaille
Avant que s’abatte ma fatigue
Lourde pale entraînée par une rotation interminable.

Les bourrasques tourbillonnent,
Brinquebalant les lucanes cerf-volant
Et bras ouverts
Torse nu
Dos tendu
J’enlace le pied de l’éolienne, brûlant
Tronc blanc planté dans le sol
Mes pieds fichés profondément dans la colline
Mes grosses racines
Mon désir d’existence au corps
Pensant la taillade dans ma poitrine

Immobile
J’entends le chien aboyer
Perdu dans la colline

Comme lui
Je cherche un genre de plante qui guérit tout
Agrippée à la machine
Encor
La perte comme la séparation
Alors que les moustiques vrombissent
S’en prenant à mes cuisses
Et de leur trompe en projection
Se déroulant telle une rafale
M’introjectant dans les veines
Le souvenir, la fable, le devenir,
La chose comme l’objet
Alors qu’un courant électrique
Foudre éblouissante
Sans nuage
Sans orage
Me projette
Dos contre terre
Œil ouvert
Face au zénith,
Fulgurée par la chose comme l’objet
Le souvenir comme son absence
Hantant mes muscles crispés
Présage de mille récits à venir

Et, alors que le chien vient me lécher les orteils
Et que j’avale la lumière :
Elle envahit la cage de ma poitrine
De mon corps lourd comme de la pierre
Omoplates au sol
Poitrail tiré au ciel
Organes traversés de mouvements contraires
Tel un spectre de chairs
Dont le sang tétanique
Anime mes membres insensibles

Et, alors que je me relève
Endolorie par le soleil
Éclatée
Encor
Mes jambes tremblantes dévalent le coteau.
La nuit s’abat sur moi
Les gros nuages de la troposphère
Gris
Dévorant les cieux
Hébergent-ils encor leurs gouttelettes d’eau,
Larmes vapeur d’eau
Lames de glace ?
Il paraît que tout passe.

Et dans le jardin adossé à la maison des Corbières
Geckos le long des murs
Se repaissant de grands paons de nuit
Je les vois évoluant en groupe de deux
Mes complices
Sœurs, repérant les lieux
L’une saisissant des fleurs de carotte
L’autre, presque nue, allongée au sol
Telle une silhouette s’ancrant dans l’humus de la terre
Dépouille sauve,
Éclairée d’une lueur fuchsia,
Habitant les lieux
Fabriquant le souvenir, la fable, le devenir
De leur corps
Leurs expéditions.

Des flashs se répandent dans le noir
Aux couleurs fulminantes
Viseur à l’œil
Appareil à toutes les mains
Forgeant les images de nos mutations
Nos regards
Tonnerre et brasier
Chemins croisés
Présage de mille récits à venir

Et je vois
Un profil se découpant des oliviers
L’ombre d’un sécateur sur une joue
À l’image teintée d’un rouge gélatine
Un porte-bouteille
Deux yeux entre des branchages
Obombrés par les feuilles
Une robe vert mousse
Ornée d’un sourire
Alizarine

L’une d’entre elles prenait la posture de la guerrière
Pieds ancrés dans la terre
Short à taille
Paumes droite et gauche ouvertes
Desquelles émanaient des fils invisibles
Constellations créatrices
S’élançant dans l’espace

Et près de l’eau
Un laurier en fleur
La dame blanche
Doucement illuminée
Par un bleu barbeau
Les yeux clos
Tandis que j’appuie sur le déclencheur

Contre le mur de l’abri de jardin
Crépi beige
Deux poitrails fiers
Se dilatant la rate
Un jaillissement d’eau
Fusant du tuyau
Jaune
Bleu
Et la chair de poule
Sur laquelle perlent les gouttelettes liquides.

Bientôt le jardin vibre de lumières

Tandis que nous appelons le tonnerre
Tandis que nous exhortons les éclairs
Leur fulgurance dans notre chair
Tandis que nous appelons celles qui nous ont précédées
Incorporant toutes leurs transfigurations
Étoile fichée au cœur
Tandis que nous chassons la peur
Tandis que nous trouvons le courage
D’être, le brasier au cœur

Aux pieds des éoliennes
Dans la maison des Corbières
Je trouve un bouquet garni
Mal fagoté
Mal attifé
Un petit trésor
Aux fleurs calcinées
Mais dont l’odeur
Me rappelle mille couleurs

Il paraît que la plante que je cherche n’existe pas encor

Et
















Juillet 2022
Tu dis qu’il n’y a pas de mots pour décrire ce temps,
Tu dis qu’il n’existe pas. Mais souviens-toi.
Fais un effort pour te souvenir.
Ou, à défaut, invente.*
*Citation de Monique Wittig, Les Guérillères, Editions de Minuit, 1969