Isaline
Dupond
Jacquemart
Ici,
j'écris
Des poussées de cytises
À Grèzes, les genêts, jaunes, s’épanchent dans la terre
Le long des chemins pierreux
Le long desquels je marche
Cette terre à la végétation arbustive
Que je foule une seconde fois.

On dit que la peau de la Bête, brune et drue,
Se confond avec les sols terreux
Et que son profil se mêle à celui des roches poudroyantes
Entre deux buissons épineux.

Au commencement de la nuit
Je marche
Alors que le soleil couche les champs
Un oripeau à l’horizon

Courant sur ce chemin
Je suis Jeanne Jean Louve
Les épaules bombées
Les pectoraux douloureux
Se jetant sur la Bête
Pour défendre les siens
Pour sauver ses peaux
Contractée dans la nuit

À Grèzes, dans le noir
Les étoiles, pourtant,
Indiquent les voies à emprunter
Et dans le noir,
Je me meus
Sa peau sur mes épaules

Et pour la première fois
Brandissant mon couteau
Je veux

Tuer la honte
Vivre le chagrin
Transmuer la colère
Faire se déchaîner la joie

Et je mange les pistils des fleurs de genêt
Sucrés
Que j’arrache un à un.
Une pelade sur les épaules
Se fondant dans mes muscles :
Mon histoire aux entrailles.

Et au commencement de la nuit,
Emprunter cent chemins de traverse
Et dissiper la peur

Tuer la honte
Vivre le chagrin
Transmuer la colère
Faire se déchaîner la joie
La fureur aux doigts
Le rire aux commissures :
Des poussées de cytises

On dit qu’on se la raconte
Alors que je m’allonge sur la colline
L’herbe au dos
Éclats argentins à la rétine.

On dit que pour devenir
On se la raconte
Des bourgeons sortant de la bouche
Et que la première fois que j’ai marché sur ce sol terreux
J’étais déjà un·e autre :
Je lui transperce le poitrail,
La Bête,
Et rebrousse sur le sentier
Après le face-à-face
Vacillant sous le poids d’une armure,
Lourd métal imaginaire évanescent.

Et près d’une maison en pierre
Silencieuse
Trois gros poissons rouges dans le bassin en pierre

Et dans la nuit
Rebroussant sur le chemin
Le long des champs,
Je passe par la grange de la grande maison
Que je sais habitée par des grézois·es de cent ans.
Ouvrant la porte du bâti
Je me rends à la cuisine
Posé sur la table, le chapeau de la dame, en paille
Et dans sa chambre vacante
Un réveil en plastique, noir, aux chiffres rouges luminescents

On dit qu’il y a cinq ans, j’avais dormi dans ce lit
Alors, l’armure au corps
Cliquetante et fumante
Je m’approche
Et m’endors dans le lit inhabité aux draps verts
Le lit de la dame au chapeau de paille

Je suis une lame, une lance, un bulldozer, une pelleteuse,
Sous mes paupières :
Un gros tracteur des champs
Traversé par une énergie mystique
Roulant des mécaniques
Mes muscles métalliques rutilants
Une chenille sur la route

Je sens ma cuirasse, plastron et dossière, devenir capot vert
Vrombissant sous ma peau
Et la braconnière : mon cylindre argenté
Articulé à mon ventre et mes chairs
Accueillant la combustion incendiaire,
L’arbre à vilebrequin à l’aine
Agité de toutes ses rotations
Et mes cuissards, ma genouillère
Prennent mes cuisses entières :
Carnation caoutchouteuse
Grandes roues lestées à structure radiale.

Embrassant le haut de mon corps
Un haubert en maille
Tissé de fils de verre
Un pare-brise miroitant
Étreignant ma poitrine translucide
Bouclier bombé exposé.

Et plongeant à l’intérieur
Mes soupapes, mes culbuteurs, mes pompes à huile
Assemblés à mon cœur
Liquides coulant le long du gorgerin
Et au bout de mes doigts, pleins phares et démarreur
Gantelet éclatant
Enveloppant ma main pétulante

Mes cils, noirs, tressaillent, vibrant au son du moteur

Et je veux

Tuer la honte
Vivre le chagrin
Transmuer la colère
Faire se déchaîner la joie
La fureur aux doigts

Et sous mes paupières
Mes canons d’avant-bras
Ma cubitière
Le long de mes hanches
Mon système de radiateur
Mon aile arrière, trémulante, se cambrant,
Et sous mon casque, ma cabine
Un sourire aux lèvres
Un tremblement métallique aux pommettes
Un rire de machine
Un râle
Une sensation de gasoil
Je me sens me décomposer
Mon corps de pièces détachées
Attisé par l’effort
Qui vibre dans mon corps

Je suis une lame, une lance, une pelleteuse, un bulldozer,
Un gros tracteur des champs,
Traversé par une énergie mystique,
Je rutile.

Dans la forêt
À Grèzes
J’ai vu une cabane de branchages dégarnie
S’effondrant sous le poids du temps
Couverte de lichen opaline.

On dit que non loin,
La Tour de Clauze sur sol granitique
Donjon octogonal
Conserve les secrets de la province du Gévaudan
Et de celleux qui marchent sur ces terres mégalithiques

À l’aube, calme,
Allongée sur les draps verts
On dit que j’ouvris les paupières.

À l’arme blanche, on dit que je suis de celleux qui roulent des mécaniques

Et je veux

Tuer la honte
Vivre le chagrin
Transmuer la colère
Faire se déchaîner la joie
La fureur aux doigts
Le rire aux commissures :
Des poussées de cytises.

Juillet 2022